En 2013, le Québec a mis en place un Système de plafonnement et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE) pour lutter contre les changements climatiques. En 2014, il a lié son système à celui de la Californie dans le cadre de la Western Climate Initiative (WCI), créant ainsi le plus grand marché du carbone en Amérique du Nord.
Le SPEDE vise, par un plafonnement réglementaire des émissions de gaz à effet de serre (GES), à pousser les plus grands émetteurs du Québec à entreprendre des projets de réduction de leurs émissions. Il y a environ 80 « grands émetteurs » qui relâchent plus de 25 000 tonnes de CO2 par année. Les distributeurs de combustibles fossiles situés au-delà du seuil de 200 litres annuels sont aussi assujettis au SPEDE. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de ce mécanisme? Son fonctionnement est-il optimal pour réduire les émissions de GES ?
Le fonctionnement du SPEDE
Conformément à la réglementation du SPEDE, les grands émetteurs assujettis doivent se procurer des droits d’émission pour les tonnes de GES qu’ils libèrent dans l’atmosphère. Ils doivent donc déposer tous les 3 ans un rapport qui démontre la couverture de ces émissions de GES par des droits d’émission. Un droit d’émission équivaut à une tonne de GES émise dans l’atmosphère.
Une partie de ces droits de polluer est distribuée gratuitement par le gouvernement. Le reste des émissions doit soit faire l’objet de réductions, soit être compensé financièrement. La compensation financière peut se faire via l’acquisition de droits d’émission principalement négociés et acquis via les enchères de la WCI.
Une autre option est d’acheter des crédits réglementés compensatoires (CrC). Ces crédits réglementés compensatoires sont le fruit d’un projet de réduction de ses émissions de GES par une entreprise. Un tel crédit équivaut à une tonne de GES évitée. L’entreprise qui dispose de ce type de crédit à la suite de son projet de réduction peut ensuite les vendre à des émetteurs qui cherchent à en acheter.
Le Québec en situation de désavantage dans le marché commun du carbone
Dans le marché commun du Québec et de la Californie, les crédits réglementés compensatoires peuvent être échangés entre les deux régions. Or, en 2020, comme visible sur le graphique ci-dessous, la Californie reconnaissait 213 fois plus de ces crédits que le Québec. Cet écart s’accroît année après année. Ainsi, pour la période 2018-2020, les entreprises québécoises ont acheté 97 % de leurs crédits compensatoires sur le marché californien, et seulement 3 % au Québec.
Pourquoi une telle distorsion entre la demande et la production du Québec sur le marché réglementé du Carbone ?
Les types de projets pouvant être reconnus comme crédits réglementés compensatoires au Québec sont en nombre inférieur en comparaison à la Californie. Au Québec, seuls deux types de projets ont vu leurs crédits compensatoires acquis par les entreprises québécoises : la destruction des substances appauvrissant la couche d’ozone (SACO), aujourd’hui presque disparues, et la destruction du méthane dans certains sites d’enfouissement. Par contraste, la Californie admet beaucoup plus de types de projets, notamment les projets forestiers. Plus des trois quarts des crédits compensatoires achetés par les entreprises québécoises sont des projets forestiers de séquestration du CO2 réalisés aux États-Unis.
Les conséquences de cette distorsion : une fuite des capitaux québecois
La dynamique décrite dans les parties précédentes a pour conséquence une fuite des capitaux vers les États-Unis. Chaque crédit réglementé compensatoire acheté aux États-Unis est autant d’argent injecté dans une économie étrangère et éloigne le Québec de l’atteinte de ses cibles de réduction de 2030. Cet argent encourage les entreprises du pays voisin à réaliser des projets de réduction des GES dans le but d’en tirer des revenus.
Selon les estimations du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), le prix moyen de ces crédits est passé de 10,71$ en 2014 à 18,50$ en 2020. À partir de ces estimations et du nombre de crédits compensatoires achetés aux États-Unis par des entreprises québécoises, on peut évaluer à environ 320 millions de dollars canadiens la somme des capitaux envoyés aux États-Unis entre 2015 et 2020.
Ainsi, il pourrait être pertinent pour le Québec, afin de limiter la fuite des capitaux, de permettre la compensation par des projets forestiers réalisés au Québec et de reconnaître les crédits carbone des marchés volontaires du carbone (MVC) réalisés au Québec et reconnus par des programmes internationaux crédibles.
Jean-François Léonard
Vice-président, affaires publiques et gouvernementales
Auteur de l’article