Le gagne-pain de plus d’1,3 milliards de personnes dépend des ressources forestières [1]. Ces personnes résident dans les régions du sud et représentent environ 20% de la population mondiale! Sont-elles vraiment souveraines de leurs revenus et de leurs forêts…
Les forêts fournissent des produits et des éléments indispensables comme de la nourriture, des médicaments, des matériaux de construction, de l’ombre, des filtres à pollution, le maintien de la biodiversité et plusieurs autres [2]. Elles sont également essentielles dans la lutte aux changements climatiques [3]. On a déterminé que les arbres poussent le plus efficacement autour de l’équateur. Dans cette zone géographique, les taux d’ensoleillement et les températures sont propices au développement rapide des forêts [4]. On peut donc bien s’imaginer pourquoi il y a une panoplie de projets de plantation d’arbres dans les pays du sud. Ces initiatives sont, pour la plupart, dirigées par des organismes internationaux et pas des organisations gouvernementales.
En se basant sur la prémices de l’importance du maintien de l’exploitation des ressources forestières pour certaines populations, ces plantations sont souvent à but lucratif [3]. Selon les traditions orales, certaines cultures voient les forêts comme les liens entre le monde spirituel de leurs ancêtres et le leur. Ces valeurs et leurs expressions sont uniques à chaque communauté. Cependant, il y a peu d’information sur l’évolution de ces traditions dans le monde actuel, surtout en lien avec l’utilisation massive des ressources forestières et la déforestation [5].
Parallèlement, le paysage tropical forestier se voit profondément modifié par la déforestation depuis une cinquantaine d’années et c’est l’agriculture qui en est la cause principale [6]. Aucun ralentissement global de la déforestation n’a été rapporté [7], mais il est indéniable qu’elle doit être freinée le plus rapidement possible pour augmenter les superficies captatrices de carbone. Néanmoins, plusieurs efforts internationaux majeurs sont mis dans la reforestation et dans l’afforestation. Le « Bon Challenge » a pour but de restaurer 350 millions d’hectares de paysages forestiers dégradés d’ici 2030 [8] et la campagne « Plant a Billion Trees », dirigée par l’organisme Conservation de la Nature, a pour objectif de planter 1 milliards d’arbres à travers le monde [9].
On ne pourrait pas dresser une liste exhaustive de tous ces projets puisqu’on en compte une diversité impressionnante. Ils opèrent également à échelles et à méthodes multiples, mais leurs missions sont communes : planter des arbres sur des terres dégradées qui ont déjà été forestières (reforestation) ou planter des arbres sur des terrains vacants qui n’ont jamais été forestiers (afforestation) tout en améliorant la qualité de vie des communautés locales par leur implication dans les projets.
Mais est-ce que ces communautés locales sont vraiment impliquées dans les projets? Leur a-t-on demandé leurs avis et est-ce que ces projets améliorent vraiment leur qualité de vie?
Plusieurs organisations et scientifiques investiguent des solutions fondées sur la nature. Alors que plusieurs études soulèvent différents niveaux d’ambition et de potentiel, elles concluent que la restauration bien planifiée d’écosystèmes peut intervenir de façon pertinente dans les crises interdépendantes du climat, de la perte de biodiversité et de la pauvreté [10]. Les communautés du sud peuvent donc bénéficier de ces projets.
Cependant, l’évolution du couvert forestier est souvent utilisée pour déterminer du succès d’un projet au détriment de l’évaluation de la portée sociale de celui-ci. Certaines études indépendantes des projets en évaluent ces impacts sociaux. Elles affirment qu’ils échouent à ce niveau en n’améliorant pas la qualité de vie des communautés locales [11]. Ils induisent parfois des conflits dans la possession ainsi que dans le respect des droits des communautés [12].
Ces actions globales sont dérivées de modèles numériques. Les superficies disponibles pour la plantation d’arbres sont déterminées à partir de bases de données qui peuvent faire ombrage à l’importance que représente ces terres pour les communautés locales (agriculture, espaces de vie) [13]. On a remarqué que ces projets provenaient d’actions dites « top-down », donc d’organismes gouvernementaux ou à notoriété importante. Plusieurs études affirment qu’un des plus grand obstacle au succès de la restauration écologique est le manque de politiques qui considèrent la participation des communautés locales dans la prise de décisions entourant ces initiatives [14] [2] [15].
Ainsi, le programme national de reforestation au Vietnam est considéré comme un échec important dans la réduction de la pauvreté et dans le développement économique. À l’inverse, 10 millions de personnes ont pu se sortir de la pauvreté grâce au Mountain-Lake-Program en Chine et il est responsable de l’augmentation de 30% de la superficie forestière dans la région sur une période de 20 ans [16]. La majeure différence entre ces 2 initiatives est l’implication des communautés dans l’ensemble du projet. On arrive aux mêmes conclusions en Afrique, où les programmes de type « bottom-up » qui encouragent concrètement toutes les parties prenantes à chaque étape d’un projet, sont ceux qui ont le plus de succès écologiques, économiques et environnementaux. Ces initiatives sont, pour la plupart, des projets à plus petite échelle.
Les communautés constituent des unités hétérogènes dans lesquelles divers besoins, forces et failles s’imbriquent [2]. La compréhension en amont de cette dynamique est capitale afin que la plantation d’arbres sur ces territoires aient un maximum d’impacts dans la lutte aux changements climatiques et ce, à long terme. Après tout, ces communautés sont celles qui en prendront soin et qui les côtoieront!
Nonobstant les avantages économiques de la diversification des emplois locaux engendrés par ces projets, on dénote un renforcement des liens sociaux entre les petits exploitants. Les projets de reforestation communautaire induisent un important partage des savoirs, augmentant les capacités et la littératie des participantes et des participants [15]. L’inclusion des femmes et des groupes marginalisés dans la reforestation diminuent leur vulnérabilité socio-économique et climatique en leur facilitant l’accès aux ressources [2].
L’accès facilité aux ressources induit un renforcement de la sécurité alimentaire. Par l’amélioration de leur capacité économique, les ménages peuvent se procurer des plus grandes quantités de nourriture pour subvenir à leurs besoins [16]. Parfois, les organismes introduisent l’agroforesterie dans les modèles de gestion écosystémique des plantations. C’est un concept qui vient solidifier la sécurité alimentaire des populations à long terme puisque les arbres sont plantés en tandem avec des cultures. Cette technique est importante pour la sécurité alimentaire des populations, pour le développement économique des régions et pour la séquestration du carbone [17].
Tous ces facteurs d’inclusion des communautés sont des composantes incontournables dans la quête de l’atteinte de l’équilibre climatique et dans celle de l’atteinte des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Les communautés du sud sont les moins responsables des changements climatiques, mais elles sont celles qui souffrent déjà le plus sévèrement de leurs impacts [11]. Il faut éviter d’exacerber leur vulnérabilité; on doit contribuer à payer leur facture climatique qui continuera de s’additionner dans les années à venir. La crise écologique induit des impacts sociaux et économiques profonds qui méritent grandement d’être abordés maintenant afin de mitiger leurs impacts actuels et futurs. Planter des arbres dans les tropiques non seulement permet d’atteindre l’équilibre climatique, mais également d’avancer dans un monde équitable où toutes et tous peuvent subvenir à leurs besoins primaires. C’est un support robuste pour la justice climatique et pour la résilience des populations!
Alexie Roy-Lafontaine
Rédactrice scientifique pour le web et les réseaux sociaux
Autrice de l’article