Ce soir au menu c’est un tofu général tao. Je dois aller à l’épicerie puisque je n’ai ni le tofu, ni le brocoli. Dans le rayon des fruits et légumes frais, il y a de belles carottes toutes fraîches et pimpantes, ce serait bon dans ma recette. Il me semble que j’en ai un restant dans le frigo? Je ne suis plus certaine… Ah! Je vais en prendre au cas. Oups, j’ai maintenant 4 livres de carottes à manger et j’habite seule. Bon je vais faire une soupe cette semaine que je pourrai ensuite congeler. J’ai oublié de faire ma soupe, mes carottes dévoilent des signes de moisissure… j’ai trop attendu. Je les jette, et j’en rachète en espérant cette fois-ci ne pas oublier ma soupe.
La nourriture est partie intégrante de nos cultures et de nos comportements sociaux. On adore se rassembler autour d’un bon repas et d’une bonne bouteille de vin accompagnés de nos proches. Les traditions culinaires des populations se transmettent et se transforment au fil du temps. Paradoxalement, on jette des quantités faramineuses de nourriture. Collectivement, les ménages canadiens jettent 11,2 millions de tonnes d’aliments qui auraient pu être mangés par année. C’est assez de nourriture pour nourrir toutes les personnes canadiennes pendant 5 mois [1].
Bien que la collecte de matières compostables soit disponible dans plusieurs villes du pays, une portion non-négligeable de ces restes alimentaires est dirigée vers les sites d’enfouissement [2]. Hormis le fait d’émettre des odeurs nauséabondes lors de leur décomposition, les aliments produisent du méthane lorsqu’ils se décomposent dans les sites d’enfouissement, environnements dépourvus d’oxygène. Ce gaz contribue à l’effet de serre avec un effet de réchauffement 28 fois supérieur à celui du CO2 sur une période de 100 ans [3].
Pour produire les aliments que nous mangeons (et que nous jetons), nous avons besoin de ressources naturelles, économiques et sociales. À chaque étape de cette production, des quantités de gaz à effet de serre s’échappent vers l’atmosphère. L’étape de la production à la ferme nécessite l’utilisation d’importantes superficies de terres, d’eau, de fertilisants et de pesticides, d’énergie pour alimenter les infrastructures et la machinerie, de capital financier ainsi que du travail ardu de femmes et d’hommes. Le transport, la transformation et l’entreposage de ces aliments nécessite également certaines de ces ressources [4]. En tout, la production alimentaire de la fourche à la fourchette vient avec son lot d’impacts qui n’auront servi qu’à jeter les aliments non mangés. Si le gaspillage alimentaire était un pays, il se positionnerait comme 3e pays émetteur de GES le plus important derrière la Chine et les États-Unis [5].
Selon le laboratoire de l’action climatique de l’Université Laval, éviter entièrement le gaspillage alimentaire dans les ménages permettrait des économies de 1643 kg de CO2 équivalent par année par ménage [6] et selon l’ONG Project Drawdown, qui propose 76 actions climatiques à entreprendre, l’évitement du gaspillage alimentaire serait l’action la plus puissante à incorporer à son éventail d’actions climatiques quotidiennes [7].
Ce gaspillage alimentaire n’est pas qu’une affaire de consommatrices et de consommateurs. En moyenne, mondialement, c’est 1/3 de la nourriture cultivée ou préparée qui se perd à la ferme ou aux usines, avant d’arriver dans l’assiette des gens [8]. Dans les pays du Sud, la proportion d’aliments jetés à ces étapes est plus importante que celle dans les pays du Nord. Ce gaspillage non-intentionnel provient d’un manque d’accès aux ressources financières, naturelles et sociales, aux mauvaises pratiques d’entreposage et au manque de réfrigération par exemple [4].
Selon le World Resources Institute, en Amérique du Nord et en Océanie, 58% de l’entièreté des aliments gaspillés le sont à l’étape de la consommation, alors que 21% est perdu dans la chaîne d’approvisionnement. La situation inverse est observée en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est. C’est 11% des pertes alimentaires qui sont enregistrées lors de l’étape de la consommation, alors que 57% est perdue au long de la chaîne d’approvisionnement qui contient les étapes de l’entreposage, du traitement et du transport ainsi que de la distribution. Ces proportions sont observées dans toutes les régions du Sud [9].
Ainsi, nous possédons un certain levier d’action par nos décisions quotidiennes afin de contribuer à la problématique omniprésente du gaspillage alimentaire. Si nous gaspillons tant d’aliments au niveau de la consommation, c’est que nous en achetons trop, que nous les oublions dans nos frigos trop remplis et que nous sommes trop « occupés » pour cuisiner. Nous sommes maîtres de nos patrons de consommation; faisons les bons choix. Si nous sommes capables d’inventer des robots-aspirateurs, ça ne devrait pas être trop complexe de ne pas jeter de nourriture. Ou peut-être sommes-nous justement trop occupés à inventer ces super robots? Ça doit être pour cette raison que j’ai oublié mes carottes! Bref, il y a quelques habitudes que nous pouvons adopter pour alléger le poids de nos bacs à compost et de nos poubelles et qui nous aideraient à digérer ces statistiques plutôt grasses;
- Planifier son menu hebdomadaire selon ce qui traîne déjà dans le frigo et dans le garde-manger;
- Se faire une lise d’épicerie selon le truc numéro 1; et la suivre! Surtout, ne succombez pas aux rabais ou aux promotions du genre achetez-en 10 et obtenez-en 7;
- Placer au-devant du frigo ce qui doit être manger le plus rapidement. La date de péremption de certains aliments arrive ou est dépassée? Fiez-vous à ce document. La plupart des aliments que nous jetons à cause d’une date de péremption dépassée sont encore très bien comestibles;
- Vaut mieux en avoir plus que pas assez? C’est plutôt l’inverse! Achetez-en moins : si le temps vous le permet, faites une plus petite épicerie et retournez-y-en milieu de semaine;
- Toujours regarder le rendement d’une recette avant de la cuisiner. La recette de mon général tao suggère que son rendement est pour 6 portions. J’habite seule, mais heureusement elle se congèle. Ce n’est cependant pas toujours le cas. On peut donc penser à ajuster la recette selon nos besoins!
Alexie Roy-Lafontaine
Rédactrice scientifique pour le web et les réseaux sociaux
Autrice de l’article