La deuxième révolution industrielle a forgé le monde tel qu’on le connait. Le fruit du travail important de femmes et d’hommes ont permis la mécanisation des économies; l’optimisation de l’agriculture; le développement de technologies; la démocratie et la liberté [1].  Grâce aux énergies fossiles, notre monde opère à vive allure, mais de façon insoutenable. Ressources non-renouvelables, certains craignent une carence dans les réserves du sous-sol terrestre. Pourtant, on en possède trop relativement à l’atteinte des cibles climatiques. Si l’entièreté des réserves était extraite et brûlée, une augmentation des températures d’au minimum 6,5 degrés Celsius serait induite; scénario catastrophique [2].

Selon une étude parue dans la revue Nature en septembre dernier, 60% des réserves d’huile et de gaz ainsi que 90% des réserves de charbon doivent demeurer dans le sous-sol terrestre, non extraites, afin d’avoir 50% de chance de limiter l’augmentation de la température globale à la surface de la Terre à 1,5 degrés Celsius [3]. Cette nouvelle est associée à des pertes économiques astronomiques pour les compagnies et pour les gouvernements qui exploitent ces ressources. Aucunes lois ou mesures coercitives ne les obligent à diminuer leur production. Si bien, que le gouvernement fédéral canadien prévoit augmenter sa production de pétrole de 25% et celle d’huile de 6%, tout en diminuant ses émissions de gaz à effet de serre de 28% d’ici 2030. Ottawa compte se fier sur les technologies de captage du CO2 atmosphérique, alors qu’aucune technologie actuelle ne permet de telles réductions [4].

Le charbon s’est formé dans le sous-sol terrestre il y a 300 millions d’années, alors que l’huile et le gaz naturel se font formés il y a entre 10 et 180 millions d’années. L’accumulation et la transformation en charbon, en huile et en gaz naturel des débris de plantes et d’algues s’étend sur plus d’une centaine de millions d’années alors qu’on les brûle en quelques centaines d’années. Lors de la combustion de ces énergies fossiles raffinées, puisqu’elles sont principalement constituées de carbone, elles se combinent à l’oxygène de l’atmosphère pour créer du CO2 [5].

Le cycle du carbone qui opérait autrefois en équilibre a été chamboulé lors de la révolution industrielle. L’extraction de ces ressources ajoute des fuites majeures de CO2 vers l’atmosphère où il s’y accumule plus rapidement que les plantes et que les océans ne l’absorbent. Les organismes photosynthétiques ne répondent pas à l’offre du CO2 atmosphérique, à la manière que l’offre manufacturière des années 1920 n’est pas comblée; Krach de 1929 et crise climatique.

Figure 1 : Portion du cycle du carbone qui fait intervenir les énergies fossiles avant (gauche) et après leur découverte (droite). Illustré est la portion du cycle du carbone terrestre qui forme le charbon et le gaz naturel. Les arbres et les plantes absorbent le CO2 de l’atmosphère pour le transformer en biomasse (carbone stocké dans leurs troncs, leurs branches, leurs racines, leurs feuilles) et en oxygène. Lorsqu’ils meurent, le carbone (C) qui était alors stocké, est enfoui dans le sol. Les microorganismes relâchent du CO2 à leur tour en décomposant la matière organique. L’accumulation de débris à la surface terrestre pousse les plus anciens vers le sous-sol où le milieu devient pauvre en oxygène. La température et la pression deviennent suffisamment élevés pour transformer cette matière organique en énergies fossiles [6]. À droite, c’est exactement le même cycle, mais les activités d’extractions sont mises en branle. On remarque l’épaisse flèche du rejet de CO2 associée à la combustion rapide de ces énergies (illustré est leur extraction, mais quelques étapes de raffineries sont requises avant qu’elles puissent être utilisées comme énergie). Cette étape vient modifier le cycle naturel du carbone : aucune source additionnelle capte ce CO2 atmosphérique en « surplus ». La portion aquatique et océanique du cycle du carbone forme l’huile et le gaz naturel à partir de débris d’algues.

 

Depuis l’ère industrielle, une augmentation de 1,1 degrés Celsius a été mesurée [7]. Si le statut quo des émissions est conservé, il nous resterait 11 ans et demi avant d’épuiser le budget carbone restante avant d’induire une augmentation de température globale de 1,5 degrés Celsius [8]. La communauté scientifique affirme qu’une diminution à un taux sans précédent des émissions ainsi qu’un retrait du CO2 atmosphérique est obligatoire. Il va de soi que nous devons travailler de pair avec la nature afin de développer des solutions ingénieuses. Plusieurs entreprises et gouvernements mettent l’emphase sur la compensation des émissions issues du secteur des énergies fossiles en supportant des projets de plantation d’arbres [9].

 

Mais est-ce qu’on peut vraiment compenser les émissions issues des énergies fossiles de cette façon?

 Les solutions fondées sur la nature ont le potentiel de fournir environ 30% de l’action climatique requise pour atteindre les objectifs de 2030 [10]. Cependant, elles doivent être utilisées en tandem avec la décarbonisation de l’économie globale à vitesse grand V afin d’exploiter leur plein potentiel. Leur capacité reste, à tout le moins, modeste relativement à ce qu’il peut être accompli par l’abandon rapide des énergies fossiles [9].

La compensation continuelle des émissions issues de ce secteur comporte certaines limites non-négligeables. 30 fois plus d’espace est requis, dans les plantations d’arbres, pour stocker une quantité de carbone équivalente dans les forêts matures. L’espace disponible à la reforestation est fini et cette situation peut induire des inégalités sociales et économiques*. Les facteurs qui influencent la pousse des arbres doivent être pris en considération : dans un climat plus chaud, l’absorption de CO2 atmosphérique est exacerbée, mais la mortalité des arbres est également plus importante (manque d’eau, feux, sécheresses) [11].  Selon le rapport spécial du GIEC publié en 2019 [12],  la réduction des taux de déforestation et de dégradation des forêts est l’une des options les plus efficaces et robustes pour minimiser les impacts des changements climatiques, en plus de fournir des cobénéfices intéressants comme l’adaptation climatique et la conservation de la biodiversité [9].

 L’objectif ultime est de stabiliser les concentrations en CO2 dans l’atmosphère. Or, cette stabilité sera déterminée par la totalité des émissions accumulées lors des siècles précédents et non seulement par l’équilibre contemporain entre les émissions et les retraits [8]. Ainsi, les solutions fondées sur la nature ne doivent pas distraire les entreprises et les gouvernements dans l’atteinte réelle des cibles climatiques. Il faut privilégier les réductions à la source des émissions et lorsqu’on compense les irréductibles, il faut prioriser des crédits de qualité qui garantissent des réductions et des séquestrations quantifiées [13].

L’utilisation de solutions fondées sur la nature pour compenser les émissions actuelles offre une solution à court terme pour les entreprises. Néanmoins, elles doivent investir en parallèle dans leur propre décarbonisation et, encore mieux, dans le développement de technologies sobres en carbone. Une tangente vers la 3e révolution industrielle se dessine : celle de la transition énergique pour que les communautés puissent continuer à opérer à vive allure, mais de façon soutenable.

 

*Pour en savoir plus sur la séquestration de carbone dans les plantations d’arbres et dans les forêts matures, c’est juste ici : https://solutionswill.com/on-plante-des-arbres-ou-on-va-a-contresens/

 

Article rédigé par  Alexie Roy-Lafontaine, Rédactrice scientifique pour le web et les réseaux sociaux.