Depuis 2015, la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, dirigée par Pierre-Olivier Pineau, publie chaque année un rapport détaillé sur l’énergie au Québec selon ses principales composantes : le niveau de consommation, la nature des sources d’énergie, la consommation des différents secteurs économiques, et les émissions associées au système énergétique québécois. Suite à la publication de l’édition 2021 de L’État de L’Énergie au Québec nous proposons ici un résumé des grandes lignes du rapport.
Un système énergétique québécois peu efficace.
Globalement, les auteurs observent une augmentation de la consommation d’énergie au Québec en 2018 avec 1 881 pétajoules (PJ) consommés contre 1 749 PJ en 2017. Les produits pétroliers et l’électricité sont les principales sources d’énergie représentant respectivement 40% et 38% de la consommation totale, suivis du gaz naturel, comptant pour 13%, et des biocombustibles (7%).
Les secteurs d’activité les plus consommateurs d’énergie sont l’industrie (32%), le transport (29%) et les bâtiments résidentiels et commerciaux/institutionnels (31%). Le système énergétique reste dominé par les produits pétroliers représentant 56% de l’énergie consommée contre 44% pour les énergies renouvelables. D’autres sources d’énergie ont vu leur production augmenter comme l’hydrogène, produit à partir de gaz naturel, et le gaz naturel renouvelable, même si la production et la consommation restent très marginales.
Le système énergétique québécois en 2018 est globalement peu efficace, avec 52% de l’énergie consommée qui est « perdue sans aucun gain pour l’économie ». L’efficacité est plus ou moins inchangée par rapport au premier rapport de 2015. Le système énergétique le moins efficace est le transport où 75% de l’énergie est perdue lors de sa consommation, contre 34% pour l’industrie et 24% pour le secteur du bâtiment. Les auteurs soulignent les efforts essentiels qui doivent être investis dans l’efficacité du système énergétique québécois.
De même, la consommation d’énergie par habitant en 2018 a augmenté de 30 GJ par rapport à 2017 pour une consommation totale de 224 GJ par habitant. La moyenne mondiale étant à 54 GJ par habitant, on peut noter une surconsommation au Québec en raison notamment de la présence d’industries très énergivores venues profitées des avantages de l’énergie hydroélectrique.
Une consommation énergétique en hausse pour les principaux secteurs économiques.
Les auteurs du rapport ont observé en 2019 le maintien de la hausse de vente des produits pétroliers amorcée depuis 1995 (+10%) et 2013 (+5%). L’essence demeure le produit le plus prisé avec 9 milliards de litres vendus. Si l’essence domine les ventes, le diesel voit son taux de croissance augmenter plus rapidement en raison de la hausse de véhicules routiers. Les auteurs soulignent qu’à ce rythme en 2030, les ventes de produits pétroliers seront 22% plus élevés qu’en 2013, au lieu d’une baisse de 40% prévue par les engagements climatiques, soit un écart négatif de 62% par rapport aux objectifs. Cela remet sérieusement en cause la stratégie du gouvernement dans sa lutte contre le réchauffement climatique.
Concernant le secteur du transport en 2019, la tendance haussière du secteur de marchandises et des véhicules particuliers se confirme. Le nombre de véhicule en circulation continue d’augmenter. Les ventes de camions légers et de véhicules utilitaires sport (VUS) explosent au détriment des voitures essence et électriques, malgré les subventions gouvernementales pour ces dernières. Responsable de 45% des émissions du Québec en 2018, le secteur des transports n’a pas amorcé de réduction nette de ses émissions. Même si les impacts de la COVID-19 ont entraîné une baisse de 15 à 20% des ventes de véhicules par rapport à l’année précédente, essentiellement due à la fermeture des services essentiels en avril, la très forte reprise en juin 2020 a retrouvé les niveaux précédents, et les a même légèrement dépassés.
Pour le secteur industriel, les pertes énergétiques demeurent importantes. Davantage d’efforts dans l’efficacité énergétiques doivent être investis. L’intensité en GES est globalement constante depuis 1990 (-5%). Le rapport note que les conversions vers des sources plus sobres se réalisent quand les prix de celles-ci sont avantageux par rapport aux hydrocarbures. D’où la nécessité de définir un prix du carbone cohérent avec les objectifs climatiques.
Concernant le secteur du bâtiment résidentiel, le rapport souligne une augmentation de la consommation d’énergie des bâtiments, soit 18% de l’énergie totale du Québec. Les raisons avancées sont : une surface de plancher plus importante, la croissance du nombre de logement, en particulier des maisons unifamiliales au détriment des appartements. Le chauffage est le poste de consommation le plus important (66%), suivi des appareils électriques (18%) et du chauffage de l’eau (16%). L’éclairage et la climatisation concerne respectivement 4% et 2% de la consommation totale.
La tendance est similaire pour les bâtiments commerciaux et institutionnels : la baisse de l’intensité énergétique n’a pas compensée la hausse des besoins en énergie, en raison notamment d’une augmentation de la surface de plancher et d’appareils auxiliaires. L’électricité est la source principale d’énergie (60%), suivie du gaz naturel (32%).
En conclusion, à la suite de la lecture de ce rapport, le Québec ne prend absolument pas le chemin des cibles qu’il s’est fixé. L’économie semble figée dans l’ornière de pratiques sociales polluantes et inefficaces, dans le prolongement strict du mode de développement responsable du réchauffement climatique : croissance de la consommation, croissance des besoins énergétiques, gaspillage énergétique. Même si l’année 2020 a connu des baisses drastiques au niveau des émissions et de la consommation énergétique, en particulier dans le transport, la crise sanitaire n’a pas affecté la structure de l’économie. Le « retour à la normale » n’est que la simple répétition de dynamiques insoutenables, tendanciellement haussières depuis 1990.
Le transport est le révélateur des contradictions entre les objectifs affichés et des attitudes sociales opposées : explosion des ventes de VUS polluants et augmentation du nombre de véhicule par habitant. Le rapport souligne les efforts nécessaires et urgents afin de réduire la consommation de carburants et l’achat de véhicules énergivores, ainsi que d’intégrer de façon permanente des pratiques faiblement émettrices (covoiturage, transport actif, transport en commun etc.). Des efforts supplémentaires doivent être également apportés afin d’améliorer l’efficacité globale des systèmes énergétiques. Les changements radicaux dans nos habitudes de transport, de consommation et de production industrielle, avec les incitations institutionnelles nécessaires à leur mise en place, s’ils existent, demeurent encore marginaux.
Texte écrit par: Hugo Del Fa, Auditeur GES