Par: Alexie Roy-Lafontaine
En tant que société, nous sommes à la croisée des chemins entre une crise d’abord humaine et sanitaire, ensuite économique et sociale. Cette période historique de confinement et de repli sur soi induit certaines réflexions par rapport à nos modes de vies, à nos habitudes de consommation et à notre vision du travail. Ces introspections poussent plusieurs à se demander où se trouve la place de l’environnement dans cette crise, et si cette période horrible pour l’humanité, n’est pas une période de délivrance pour la Terre.
L’économie, la société et la nature sont imbriqués les uns dans les autres par leurs interactions dynamiques. En effet, la réponse de la nature face à la paralysie des déplacements et à l’arrêt de l’activité économique à la suite des confinements globaux liée à la COVID-19 fut quasi-instantanée. La réduction du stress imposée aux composantes du système Terre par les activités anthropiques ont eu des impacts positifs sur l’environnement. Les diminutions des concentrations des gaz à effet de serre et des matières particulaires rejetées dans l’atmosphère ont eu des effets positifs et mesurables non seulement sur la santé environnementale, mais également sur la santé humaine. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la problématique de la dégradation de la qualité de l’air est responsable de la mort de plus de 4,2 millions d’individus à chaque année. De ces décès, 1 million ont lieu en Chine seulement, puis, au moment de la période de confinement et d’arrêts industriels, la qualité de l’air s’est améliorée au point où 50 000 vies auraient été épargnées [1]. Dans le cas des gaz à effets de serre, des chercheurs estiment que les concentrations étaient équivalentes à celles de 2006. Une baisse de 17% des émissions de GES est attribuable à la suspension des activités industrielles et des déplacements [2].
Néanmoins, les temps ne sont pas à célébration. Nonobstant les tendances à la baisse des bilans de GES pour les années 2020-2021, leur projection à long terme dépendent de l’avenue que prendront les gouvernements pour relancer les économies. Ces changements sont donc temporaires puisqu’ils ne sont pas les résultants de modifications structurelles de l’économie, du transport ou des systèmes énergétiques [2]. Également, entendons-nous sur le fait qu’une crise sanitaire n’est pas la bonne façon de réduire nos émissions de GES. Il est impératif de trouver un état d’équilibre durable dans lequel les actions de réductions d’émissions de GES seront favorables. Cet équilibre doit assurer la sécurité et la liberté des individus du système global.
À quoi ressemblera donc l’après COVID? Retournerons-nous à du business as usual? Prendrons-nous cette opportunité pour réformer les modèles économiques linéaires de consommation et œuvrer complètement dans le sens du développement durable? Ou dans le pire scénario, opterons-nous pour des relances qui ne tiennent pas compte de l’agenda 2050? Dans le cas de la récession économique de 2008, les bilans des GES tendaient également à la baisse, mais lors de la relance économique, ces concentrations ont atteint de nouveaux sommets puisque l’économie était stimulée au détriment de la santé de l’environnement [3].
Espérons que nous avons appris de nos erreurs. Cette période de reprise économique est déterminante à l’atteinte ou non des objectifs climatiques fixés par les Accords de Paris, et donc à la façon d’aborder cette prochaine crise : celle du climat.
La pandémie actuelle met en évidence les faiblesses de notre système économique, aspect totalement pertinent pour se préparer à affronter la crise climatique. Des chercheurs de la revue scientifique Nature estiment que le coût de l’inaction face aux changements climatiques serait comparable à celui de l’actuelle pandémie [4]. En ajout, l’exposition à la pollution atmosphérique augmente les risques de complication aux maladies comme la COVID-19. La déforestation ainsi que les changements de température sont la cause des émergences de pandémies [5]. En 30 ans, 60% des habitats naturels ont été détruits, ayant comme résultante des épidémies 4 fois plus fréquentes [4].
Modèles économiques friables
La résilience du système économique, dit linéaire, a été mis à l’épreuve lors de la crise actuelle. Des chutes d’activités allant jusqu’à 97% dans certains secteurs ont été observés [4]. C’est donc dire que ce test de la résilience a échoué haut la main à l’échelle globale. On dépend du transport et des frontières ouvertes, conséquence de la mondialisation et de la sur-optimisation de certaines composantes du système [6]. Certaines entreprises se sont ultra-enrichies et d’autres, se sont complètement effondrées. En misant sur l’optimisation d’un seul produit, par exemple, il peut s’avérer plus ardu de s’adapter aux variations auxquels sont soumis les sociétés.
Afin de pouvoir mieux soutenir les crises à venir, le système économique doit être plus résilient. En incorporant, par exemple, les principes de la circularité économique [7], on bénéficie d’une moins grande dépendance à l’extraction de ressources naturelles limitées, à une meilleure coopération entre les entreprises par la symbiose industrielle et à un environnement plus sain avec l’incorporation des technologies d’énergies renouvelables [8]. Encore faut-il que les plans de relance économique soient alignés avec ces principes.
La crise sanitaire de la COVID-19 a eu des conséquences notoires sur les taux de chômage, sur le PIB global et sur l’augmentation de la dette de chaque pays. La diminution du PIB globale est de 20% au second trimestre de 2020 [4]. En mai, au Canada, le taux de chômage était de 13,7%, niveau inégalé depuis 1976 [9].
De plus, bon nombre d’individus ont encore recours aux mesures financières d’urgence établies par les gouvernements, faute de retrouver les emplois qu’ils avaient. La dette du Canada s’élève à 343,2 milliards de dollars pour l’année 2020-2021 [10]. Il est ainsi capital que les gouvernements élaborent des plans de reprise économique. Un monde plus pauvre et angoissé par les finances et par la santé est un monde moins enclin à investir dans des solutions d’ordre environnemental [11].
Piliers de la reprise économique : orientations des gouvernements
Certains gouvernements profitent de la pandémie pour relancer l’économie de leur pays en intégrant des pratiques plus écoresponsables et en investissant dans les technologies vertes, stratégies visant à atteindre l’agenda 2050, et qui stimule également l’emploi dans plusieurs sphères (ingénierie, gestion, design, manufacture, etc.). La Chine, par exemple, s’engage à investir 500 millions de dollars dans l’installation de bornes de recharges pour les voitures électriques [3].
Au Canada, les citoyens demandent une relance économique qui répondra à la crise climatique. Le gouvernement fédéral s’est engagé envers l’élimination complète des GES d’ici 2050. L’atteinte de cette cible est la garantie d’un avenir sain, qui dépendra de la manière dont le Canada répond aux retombées économiques de la COVID-19. Actuellement, il est anguleux d’affirmer que le gouvernement fédéral se lance dans la bonne direction puisqu’il a annoncé un investissement de 750 millions de dollars Canadiens dans un Fonds de réduction des émissions de GES pour le secteur pétrolier et gazière. Ces mêmes industries font du lobbying auprès du gouvernement pour faire reculer le Canada devant les demandes de relance économique justes et transformationnelles post-COVID. De plus, ces secteurs à fortes émissions ainsi que celles de l’automobile et de l’aviation exercent de fortes pressions sur le gouvernement pour qu’il leur fournisse un financement de renflouage [12].
L’Institut International de Développement Durable (IISD) a déposé un rapport au gouvernement fédéral pour une relance économique verte au Canada, identifiant 7 principes qui permettraient de respecter les engagements climatiques de 2050. Ce rapport a pour but d’une reprise qui transformera l’économie et les sociétés et qui aura une incidence durable sur notre capacité à faire face à une autre crise, celle des changements climatiques [12].
Au Québec, un cadre économique plus efficace et sobre en carbone était mis de l’avant. La crise de la COVID est cependant venue s’immiscer entre ces politiques et leur mise sur pied. Il faut ainsi reprendre où on en était avec celles-ci et mettre les bouchées doubles pour les réaliser. Les Québécois envoient 5 à 10 milliards de dollars aux États-Unis et à l’Alberta à chaque année afin de financer les activités de production d’énergie fossiles en échange de l’import de pétrole et de gaz. Cette somme d’argent représente la majeure partie de notre déficit commercial.
Par l’amélioration de l’efficacité énergétique et par le remplacement des importations d’énergies fossiles par la production et l’utilisation d’énergies renouvelables locales (biométhanisation, électrification des transports, etc.), on peut mitiger et même annuler ce déficit. Ce sont 5 milliards de dollars par année que le Québec pourrait investir dans son territoire pour financer des emplois et propulser l’économie par exemple [13].
Le rôle des entreprises dans cette reprise économique
Les entreprises tiennent également un bout du bâton dans cette période de reprise économique. En effet, elles peuvent décider d’œuvrer dans le sens du développement durable ou non. La période de confinement a complètement transformé l’industrie du travail. Les employés et les employeurs surfent la vague du télétravail avec plus d’aisance que quiconque l’aurait imaginé. Ce changement pas nécessairement temporaire a un impact direct sur les modes et sur les fréquences de déplacements de chacun. Une étude menée en France conclue que l’instauration d’un seul jour de télétravail par semaine pour 80% des emplois admissible permettrait d’éviter environ 2 millions de tonnes d’émissions de CO2 par année [4]. Désengorgement des autoroutes et des services de transports en commun sur les heures de pointe dans les centres urbains sont également des impacts positifs sociaux de ce changement.
Il est encore impossible de prévoir quel sera le comportement des consommateurs dans le monde post-COVID. Cependant, une réelle prise de conscience s’est amorcée dans cette période de confinement. Nous avons observé un engouement sans précédent pour l’achat local et responsable, pour les déplacements actifs et pour la solidarité civile [14].
Ainsi, cette période de ralentissement représente un canevas vierge quant à la reprise de nos activités. La société civile a plus de pouvoir que jamais : nous avons la chance d’être maîtres peintres de nos économies et des actions que prennent nos gouvernements. Au contraire de la COVID, la crise climatique s’amorce lentement, la communauté scientifique la prévoit depuis déjà plusieurs années. La pandémie actuelle a d’autant plus souligné l’importance d’écouter la science et les faits. Il est donc catégorique que les efforts post-COVID soient en parallèle aux objectifs climatiques de l’Accord de Paris. Une chose est sure, la crise climatique ne cède pas sa place à la COVID. Pandémie ou non, son économie roule sur l’or.