Lorsque les enjeux de la crise climatique sont abordés, l’objectif net-zéro émissions est instantanément évoqué. Cet objectif est la colonne vertébrale des plans d’action climatiques de la communauté internationale depuis la ratification de l’Accord de Paris en 2015[1]. En soi, cet accord stipule que les puits et les sources de carbone doivent être équilibrés en 2050 dans le but de limiter l’augmentation des changements climatiques à 1,5 degrés Celsius par rapport à la température avant la révolution industrielle[2]. En d’autres mots, les quantités de gaz à effet de serre (GES) émis dans l’atmosphère par les activités humaines doivent être égales à celles « retirées » de l’atmosphère pour laisser le cycle du carbone opérer en équilibre. C’est à ce moment où on atteint le net-zéro. C’est ce qui explique les termes carboneutralité, net-zéro et agenda 2050.

En théorie, c’est bien. Les changements climatiques sont intrinsèques à la quantité toujours plus importante de carbone dans l’atmosphère. Il y a un lien clair entre la stabilisation des émissions anthropiques de GES et des changements climatiques[1]. À première vue, le lien serait transposable au net-zéro : l’atteinte de l’objectif induit un équilibre des GES dans l’atmosphère et donc potentiellement un rééquilibrage des changements climatiques. Cependant, en décortiquant le concept, le suffixe « net » fait obstacle à l’atteinte du zéro. En misant tous nos œufs dans le panier de la carboneutralité, il ne faut pas crier victoire trop rapidement, mais plutôt nuancer le discours et son approche.

Il est indéniable que nous devons pousser au-delà du net-zéro pour garantir une stabilisation de la crise climatique[3]. Actuellement, la concentration en GES dans l’atmosphère est à son maximum par rapport au début de la révolution industrielle[4]. Malgré ces objectifs et les efforts mis dans la diminution du taux de carbone dans l’atmosphère, le climat est toujours plus débalancé au fil des ans. On se rend donc à l’évidence qu’il faut non seulement trouver des moyens efficaces pour rompre la dépendance aux énergies fossiles, mais il faut également retirer ces gaz à effet de serre qui font maintenant interférence avec le cycle climatique.

Effectivement, l’atmosphère est saturée en carbone. Les atomes restent en suspension dans l’air et contribuent aux changements climatiques par leur propriété de créer l’effet de serre. Les organismes photosynthétiques ne peuvent plus capter assez de carbone pour rééquilibrer l’atmosphère sur une base annuelle. Donc, les atomes de carbone attendent patiemment d’entrer dans le cycle. Un processus qui prend plusieurs importantes années. C’est donc que même si on atteignait la carboneutralité en 2050, les effets des changements climatiques pourraient se faire ressentir encore sur plusieurs décennies. Néanmoins, atteindre le net-zéro, c’est une belle première étape vers la restauration du climat[1]. Plus on y parvient rapidement, plus les dommages sociaux, économiques et écologiques associés aux changements climatiques seront minimisés.

 

Les fléaux du net-zéro

 

C’est en analysant les caractéristiques de l’objectif qu’on peut améliorer la situation et agir plus rapidement. Il va de soi que la décarbonisation de l’entièreté des secteurs d’activités n’est actuellement pas possible. Par exemple, dans le secteur du transport et de l’agriculture, l’électrification entière n’est pas encore développée. On peut penser à la situation des véhicules lourds et du domaine de l’aviation également. Il est donc utopique de penser à une économie mondiale entièrement sans énergie fossiles d’ici quelques décennies. La diversification du mix énergétique est cependant une composante de transition importante dans la course contre la crise climatique.

C’est à ce moment que le concept des émissions négatives entre en jeu. En fait, l’Accord de Paris permet la compensation des émissions restantes. Si l’on doit porter une attention particulière sur l’élimination du carbone accumulé dans l’atmosphère au fil des ans, une attention encore plus pointue doit être mise sur la coupure des émissions liées aux énergies fossiles[3].

Selon le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat (GIEC), 730 gigatonnes de carbone doivent être soustraites de l’atmosphère d’ici 2050 pour limiter le réchauffement à 1,5 degrés Celsius[5]. Plusieurs techniques sont actuellement en développement afin d’optimiser le stockage de carbone, mais aucun pays n’a encore adhéré à un plan clair d’extraction de carbone atmosphérique[6].

On parle souvent d’afforestation afin d’augmenter la capacité de stockage de carbone par les végétaux. Cependant, cette technique nécessite une quantité de terres phénoménale pour parvenir à la compensation de tout le carbone en trop. Il ne faut pas oublier que la population mondiale est en augmentation. Les terres pouvant être utilisées représentent une grande portion de terres agricoles et de terres appartenant aux peuples natifs des régions.

Plusieurs autres techniques de géoingénieries sont en développement, mais actuellement, aucune ne garantit le captage sécuritaire et suffisant du carbone. Elles induisent, pour la plupart, d’importants compromis avec la biodiversité, avec la production alimentaire, avec la demande énergétique et avec les ressources en eau[6]. Ces technologies seront utiles lorsqu’elles pourront être appliquées à l’échelle, surtout pour la compensation des émissions restantes, mais elles ne doivent pas être utilisées comme un passe-droit pour alimenter le continuum des énergies fossiles[1]. On ne peut donc actuellement pas baser tous les efforts dans la soustraction du carbone, il faut se tourner vers la diminution à la source des émissions de carbone[9].

Il est également possible d’accélérer la réduction à la source des émissions restantes avec l’utilisation des marchés du carbone. Selon plusieurs études, les crédits de carbone doivent être combinés à la diminution des émissions de carbone pour optimiser l’efficacité du processus. Autrement, ils pourraient faire ombrage à la mitigation efficace des émissions de carbone et seraient limités par la quantité de ressources naturelles disponibles dans le cas des solutions basées sur celles-ci[7]. Lorsque les crédits sont bien utilisés et vérifiés, les projets de compensation peuvent être importants pour la restauration de certains habitats comme les forêts et les milieux humides ou ils peuvent servir pour le financement de réduction d’émissions, actions pertinentes dans la réduction des émissions globales.

Autre élément, l’objectif net-zéro laisse place à la créativité. Certains gouvernements choisissent de ne cibler que le dioxyde de carbone, et d’autres choisissent d’inclure l’entièreté des GES. Les objectifs concernant la réduction des émissions et leur suppression de l’atmosphère ne sont pas dissociés[7]. Les politiques actuelles ne permettent pas de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5 degrés Celsius puisque leur fil conducteur est la protection du statu quo[1]. Les politiques climatiques doivent être plus transparentes et couvrir tant les émissions du passé qui se retrouvent encore dans l’atmosphère, que les émissions actuelles et futures. La réduction des émissions à zéro doit être priorisée par rapport au net-zéro. C’est ainsi dire qu’on doit couper au maximum les émissions à la source avant de penser à les balancer ou séquestrer avec d’autres solutions de captation par chemins naturel ou technologiques. Les compensations peuvent donner l’illusion d’avancement, sans pour autant induire une diminution de celles-ci[8].

En somme, le marathon des changements climatiques s’est transformé en sprint. Tous les efforts doivent être mis dans la rupture de la relation entre l’économie et l’utilisation des énergies fossiles.  C’est trompeur et faux de garder en tête que l’atteinte de l’objectif net-zéro nous sauvera de la crise climatique. En l’espace de quelques décennies, il faut transformer une communauté mondiale qui injecte plus de 50 milliards[10] de tonnes de carbone dans l’atmosphère chaque année, en une qui en retire 10 milliards[1]. Les conséquences des changements climatiques sur les sociétés sont alarmantes : augmentation du niveau marin, sécheresses, inondations, feux de forêts, tempêtes importantes ne sont que quelques exemples d’impacts qui attendent la communauté internationale si des actions concrètes ne sont pas envisagées pour stabiliser le climat. Les populations vulnérables du Sud global sont celles qui souffriront le plus des conséquences, alors que les pays occidentaux se sont enrichis avec la montée de l’économie des énergies fossiles[8].

Lors de la paralysie de l’économie mondiale pendant la pandémie de la COVID-19, une diminution du carbone atmosphérique a été mesuré. Toutes et tous ont reçu cette information comme un baume sur le confinement imposé. Maintenant que les activités ont repris, les niveaux de carbone atmosphérique ont déjà dépassé les niveaux pré-pandémie et atteignent des niveaux jamais mesurés depuis 1950[4]. Un paradoxe flagrant s’observe entre la technique entreprise actuellement dans la lutte aux changements climatiques et l’objectif auquel la majorité des gouvernements souscrivent. Le sprint final n’est pas lancé, mais le temps file.

Il faut voir la carboneutralité comme une entrée vers la restauration du climat et vers la justice climatique et non pas comme le plat principal. La définition d’objectifs à plus court terme qui s’alignent avec la science doit être la tactique principale à adopter. Sans action immédiate, les objectifs principaux resteront hors d’atteinte et le statu quo primera sur le net-zéro.

 

Écrit par: Alexie Roy-Lafontaine, Rédactrice technique et scientifique