Sept ans après la ratification de l’Accord de Paris en 2015, les émissions de GES au niveau mondial sont toujours à la hausse. Une baisse de celles-ci a été enregistrée au début de l’année 2020 à la suite de la propagation pandémique de la COVID-19. Néanmoins, les émissions ont rapidement repris leur valeur pré pandémie pour atteindre des niveaux jamais enregistrés auparavant [1]. Cependant, la richesse globale des pays est également en augmentation. Le Produit Intérieur Brut (PIB) est utilisé pour mesurer la taille et la croissance économique du pays, ou en d’autres mots, son niveau de richesse [2]. Évidemment, la valeur du PIB de certains pays augmente plus rapidement que d’autres. Alors que celui de d’autres évolue plutôt à la baisse. Cependant, globalement depuis la 2e Guerre Mondiale, la valeur moyenne du PIB est croissante. Traditionnellement, si le PIB stagne ou s’il diminue, alors le pays est en récession; en d’autres mots, ça va mal! Cependant, en 2017, 82% des nouvelles richesses créées dans le monde se sont retrouvées dans les comptes de banque du 1% des gens les plus fortunés [3], ce qui a creusé les inégalités. 

Notre système économique repose sur une croissance perpétuelle.


Pour générer cette croissance, on doit consommer plus, et donc produire plus. Ce modèle linéaire repose également sur l’extraction de ressources naturelles afin de produire ce qu’on consomme, mais également afin d’emballer et de transporter les marchandises. Cette quête de croissance implique une exploitation des ressources à un rythme plus rapide que leur régénération. En 2021, le jour du dépassement mondial a eu lieu le 29 juillet
[4]. Cette date marque l’épuisement du budget annuel des ressources planétaires : en 2021, ça nous aura pris 6 mois et 28 jours pour consommer l’ensemble des ressources que la planète peut générer en un an. Notre rythme effréné de consommation nous pousse à puiser dans les ressources que la Terre emmagasine depuis des milliers d’années puisque nous ne respectons pas le « budget » qu’elle nous alloue annuellement. C’est à se demander si cette volonté de croissance infinie est possible sur une planète aux ressources finies.

En 1972, c’est exactement ce que le rapport Meadows vient souligner avec son document exhaustif intitulé « Halte à la croissance? ». Le collectif de scientifiques y met en lumière les risques de catastrophes environnementales et économiques liés à la quête d’une croissance infinie basée sur des ressources limitées. Cet avertissement complètement ignoré appelle à tenir compte du seuil des écosystèmes quant à leur capacité à répondre aux besoins humains. Drôlement intemporelles, les conclusions tirées dans ce rapport sont toujours d’actualité aujourd’hui [5]. Entre la prolifération du concept du développement durable et des 26 sommets internationaux annuels sur la crise climatique des dernières décennies nait un tout autre courant de pensée qui gagne du terrain à l’international : celui de la décroissance.

L’idée de la décroissance amène un changement de paradigme drastique


Elle rejette les fondements de notre système économique actuel. Le mouvement appel à une contraction des économies mondiales afin de relâcher les pressions anthropiques sur les écosystèmes naturels. Les « décroissantistes » proposent de produire moins, de posséder moins d’acquis matériels et de choisir des biens plus durables et faciles à réparer
[6]. De cette façon, nos activités globales seraient beaucoup moins extractives et notre production de déchets diminuerait drastiquement. En consommant moins, nous aurions à produire moins et donc, à travailler moins. Nous aurions plus de temps libres à consacrer à nos familles et à nos amis, pour s’impliquer dans l’entretien d’un jardin collectif ou pour l’échange de biens et de services par exemple [7].

Décroître, ce n’est pas seulement réduire, c’est aussi faire autrement.

 

Chez Solutions Will, nous proposons notamment des crédits carbone locaux pour compenser votre empreinte carbone, tout en soutenant les entreprises, OBNL et collectivités canadiennes qui diminuent l’intensité carbone de leurs activités économiques volontairement. Notre projet vise à déployer à grande échelle une économie plus respectueuse des limites planétaires et des humains. 

Pour les soutiens de la décroissance, le seul moyen de parvenir à se sauver des impacts catastrophiques de la crise climatique est de réduire l’activité économique. Les humains ne seraient plus majoritairement destinés à travailler pour faire tourner la machine économique. Cette modification des fondements sociaux et économiques laisserait moins de place à l’entreprise privée pour que les coopératives et les entreprises autogérées puissent opérer à plus grande échelle. Il n’y aurait plus de propriétaires de ressources, mais d’avantage de responsables des ressources afin de transformer notre vision de la propriété.

Par exemple, l’organisme La Remise située à Montréal est une coopérative de prêt d’outils et d’appareils ménagers. Elle permet aux citoyens et citoyennes d’emprunter des scies rondes ou encore des machines pour faire des pâtes fraîches maison afin que les gens n’aient pas à acheter ces objets qui nous sont utiles que 2 fois par année! Ce simple modèle d’opération s’inscrit dans les idées prônées par la décroissance puisqu’il permet de réduire la consommation de biens matériels [8]. Nos rapports aux transports et aux déplacements sont également remis en question par cette théorie. La volonté criante de posséder une voiture, de se déplacer sur des distances importantes sans penser aux conséquences environnementales et sociales sont des impacts de l’individualisme imposé par le système économique actuel.

Plusieurs pourraient penser que nous enterions en récession perpétuelle, mais les défenseurs de la décroissance prônent une transformation profonde des valeurs de l’économie et ce, intentionnellement [9]. On transitionnerait loin du capitalisme et de la croissance économique comme priorité politique. La priorité serait de répondre aux réels besoins humains tout en respectant les limites biophysiques de la planète et en réduisant les inégalités sociales. Ce courant de pensée qui intéresse des militant.es environnementaux, des académiques et des politicien.es se positionne à l’anti pôle du capitalisme et vient même critiquer le concept du développement durable. Pour les décroissantistes, il est impossible de continuer à faire grandir les économies même en y intégrant des technologies et des énergies propres. 

Après tout, dans une lettre ouverte signée par plus de 11 000 scientifiques, elles et ils déclarent que la planète est « clairement et sans équivoque » dans un état d’urgence climatique. Puis, cet état d’urgence est « intimement lié à la consommation excessive dans les pays nantis » [10].  

 

Le débat enflammé autour de la décroissance


La décroissance est loin d’être une idée prônée par toutes et tous.
Plusieurs lui reprochent d’être une utopie farfelue. Celles et ceux qui la critiquent se demandent si on peut résoudre la problématique de la pauvreté globale dans un système sans croissance économique. Puis, dans les années à venir, la plupart des émissions de carbone proviendront des pays qui se sortent du développement comme la Chine et l’Inde. Plus les pays occidentaux se décarbonisent, plus les pays émergents occupent une part importante dans les émissions de GES globaux. Alors, si les pays en développement poursuivent leur essor jusqu’à atteindre un certain niveau, la majeure partie de la source des émissions de GES n’est pas adressée. Ainsi, les chances de minimiser les impacts des changements climatiques par la décroissance sont fortement réduites.

Nous avons vu avec la pandémie de la COVID-19 que l’économie mondiale est interconnectée. Si les pays occidentaux se mettent à décroître et à moins consommer, les impacts de la réduction des imports provenant des pays émergents pourraient être catastrophiques [9]. Les adeptes de la croissance mettent d’avant la théorie du découplage, théorie selon laquelle, au-delà d’un certain niveau de richesse, le progrès technique permet de réduire les pressions exercées sur l’environnement. Elles et ils croient que ce progrès arrivera à assurer l’atteinte des cibles climatiques tout en croissance économique [11]. Ici, on peut penser développement durable : la mise en place de pratiques responsables et de technologies qui nous aident à réduire les émissions de GES, mais pas l’activité économique.

Les décroissantistes répondraient que l’arrêt de la consommation se ferait dans les secteurs inutiles ou qui n’amélioreraient pas le bien-être humain et non dans tous les secteurs. La mesure du PIB ne correspond pas à une mesure du bien-être de la population du pays, mais bien exclusivement à la taille de son économie. Bien que l’installation d’une usine pétrochimique soit positive pour le PIB du pays, l’émanation de ses particules toxiques est plutôt négative pour la santé des communautés et pour l’environnement. Et ça, le PIB ne le prend pas en compte! Cette mesure ne prend pas en compte la valeur sociale ajoutée et perdue comme celle des compétences et des connaissances de la population active et l’épuisement des ressources. Au fil des années, nous avons bâti un système économique complexe qui s’éloigne de son objectif principal, soit celui de répondre aux besoins humains. Puis, plusieurs pays qui ont augmenté leur PIB, n’ont pas réussi à réduire leurs émissions de GES, découplage raté [12]

Les modèles alternatifs à la décroissance 


Les politiques de développement durable et de croissance verte
n’ont pas permis, jusqu’à maintenant, de relever les défis environnementaux et de nous mettre sur la voie de limiter le réchauffement de la température à 1,5 degrés Celsius. Néanmoins, si les questions soulevées par la décroissance sont pertinentes, les réponses ne sont pas encore pleinement satisfaisantes : comment juger de ce qui est un besoin et de ce qui est superflu? Quelles seraient les répercussions sur les pays du sud et sur les populations vulnérables? Comment instaurer ces politiques à grande échelle? Effectivement, la théorie de la décroissance comporte des limites et peut sembler être une idée radicale. Cependant, si nous n’agissons pas rapidement pour renverser la tendance actuelle, le PIB mondial pourrait chuter de 30% par habitant d’ici 2100 comparativement à s’il n’y avait pas de réchauffement, et ce, indépendamment de notre volonté, résultat des impacts des changements climatiques sur les populations humaines
[8]. C’est toute une décroissance qui nous sera imposée!

On entend souvent les gens dire qu’ils sont fatigués, qu’ils sont stressés et qu’ils ont besoin de ralentir ou de prendre une pause. La décroissance, c’est aussi ralentir. Même si nous n’appliquons pas ce concept à l’échelle globale, ses idées valent le coup d’y être réfléchies à l’échelle individuelle. Repenser nos vitesses et nos façons de consommer, évaluer la qualité de nos relations humaines, revoir notre relation avec le transport et les déplacements et se demander quelle place occupe nos loisirs et nos passions dans nos vies pourraient laisser place à un quotidien plus reposant. En tant que société occidentale, nous aurions possiblement à renoncer à certains biens matériels acquis, mais si c’est dans le but d’avoir plus de temps libre, d’être plus connecté avec les autres et de naviguer dans une société plus équitable, le jeu en vaudrait peut-être la chandelle.

Alexie Roy-Lafontaine

Alexie Roy-Lafontaine

Rédactrice scientifique pour le web et les réseaux sociaux

Autrice de l’article