Par: Alexie Roy-Lafontaine
La croissance de la population mondiale entraîne inévitablement une hausse de la demande en ressources naturelles (eau, énergie, minerais, bois) et en espaces habitables. Ces demandes font pression sur les écosystèmes et vont s’accentuer au cours des années à venir [1]. La planète ne peut pas soutenir cette croissance continue : les ressources naturelles non-renouvelables viennent à s’épuiser, les impacts des changements climatiques commencent à se manifester et les espèces sont menacées plus que jamais. On test les limites de la Terre, et ce, à nos risques et périls!
Il semble donc urgent d’introduire un paradigme global qui propose un point d’équilibre entre le développement des sociétés et le maintien du système Terre dans sa zone de capacité de résilience [2]. Puisque cet enjeu est d’intérêt global, ce sont tous les pays qui doivent marcher dans la même direction. C’est un défi de taille puisque les enjeux économiques et sociaux prioritaires varient d’un pays à l’autre.
La communauté scientifique a ainsi développé, lors de la dernière décennie, le concept de limites planétaires [3]. Ces limites désignent les bornes à l’intérieur desquelles l’humanité doit naviguer pour ne pas accentuer les risques de déstabilisation du système viable et en induire des changements irréversibles. Promis, ce n’est pas un concept difficile à comprendre!
Ces limites se définissent par 9 enjeux environnementaux quantifiables et qualifiables qui englobent le climat, la biosphère, l’atmosphère et la lithosphère. Les études ont démontré que l’humain a maintenant un impact notoire sur les mécanismes de ces variables qui agissent en concert.
Tout d’abord, avant de comprendre les concepts abordés plus haut, une mise en contexte sur la géologie et sur l’histoire de la planète s’impose.
Les géologues décomposent l’imposante histoire de la planète qui s’étend sur 4,5 milliards d’années [4] en ligne du temps morcelée de diverses ères, époques, périodes et âges. Parlons ères géologiques! On se situe actuellement dans l’Holocène. Cette longue période interglaciaire, chaude et relativement stable qui s’étend depuis plus de 12 000 ans [5] est la seule connue de toutes qui peut soutenir le développement de la vie et les activités des sociétés contemporaines [4].
Depuis 300 ans, les effets des activités humaines sur le système Terre sont passés de locales à globales. C’est donc que, vers la fin du 18e siècle, les caractéristiques environnementales de l’Holocène observées avant la dominance de l’humain sur la planète commencent à se modifier. Des études de l’air capturé dans les masses de glace en Antarctique (aussi appelé études paléoclimatiques) démontrent qu’à partir de cette période, les concentrations en dioxyde de carbone et en méthane commencent à augmenter significativement [12]. Ces gaz à effet de serre ont comme caractéristique de moduler le climat global lorsque leurs concentrations varient. Leurs molécules ont une incidence sur le comportement des rayons du Soleil : une portion du rayonnement qui est supposé se faire réfléchir pour retourner dans l’espace reste emprisonnée dans les basses couches de l’atmosphère, donc près du sol. La quantité de chaleur gardée à la surface de la planète est ainsi supérieure. C’est de cette façon que l’effet de serre est augmenté. Il est important de mentionner que l’effet de serre naturel et indispensable puisque sans lui, il ferait -18 degrés Celsius à la surface de la Terre, température trop froide pour permettre le développement de la vie. Cependant, à cause des activités anthropiques, l’augmentation du phénomène de l’effet de serre est massivement accélérée, risquant l’atteinte d’un taux défavorable au maintien de la vie [6].
Plusieurs chercheurs proposent que nous sommes passés dans une nouvelle ère géologique : l’Anthropocène, terme qui renvoi à la dominance de l’humain sur la planète. En effet, plus de changements sont survenus sur la planète dans les 3 dernières décennies que dans les dernières 200 millions d’années. La première révolution industrielle de 1750 ou la Grande Accélération [7] est l’élément déclencheur des rétroactions observées sur le système Terre (figure 1). Les études permettent de conclure que les comportements du système Terre sont directement liés aux tendances socioéconomiques des sociétés humaines (figure 1). Ainsi, les humains sont maintenant les principaux conducteurs des changements globaux.
Comme le présente la figure 1, la croissance des sociétés humaines et leurs habitudes de consommation influencent, en croissance également, les composantes de la biosphère.
Quoique, l’ère géologique de l’Anthropocène ne soit pas acceptée officiellement par les géologues, les marqueurs des pratiques humaines sur l’environnement laisseront sans doute des traces dans la géologie et dans la sédimentation du sol terrestre par l’agriculture intensive, par la déforestation, par l’exploitation du nucléaire et des transports [9].
De plus, notons que nous assistons à la 6e extinction de masse, l’une d’elle étant l’extinction des dinosaures. Une étude publiée dans Science Advances en 2013 confirme que le taux actuel d’extinction des espèces pourrait être 100 fois plus élevé que lors des précédentes extinctions massives [10]. En somme, c’est la première fois dans l’histoire de la planète qu’une seule espèce (Homo sapiens) ait un impact global aussi puissant [11].
Revenons à la figure 1. Une gamme de rétroactions planétaire est induite à la suite des pressions qui lui sont exercées par les humains. C’est pourquoi on parle d’un « système Terre ». Les processus physiques, chimiques et biologiques terrestres interagissent ensemble. Le système englobe les terres, les océans, l’atmosphère et les pôles (cryosphère) et inclut les cycles biogéochimiques naturels du carbone, de l’eau, du nitrate, du phosphore, du soufre et des processus terrestres. Ici, ce qui est important de retenir c’est que toutes ces variables sont reliées. Le système possède donc une forte capacité de résilience. Il peut absorber des perturbations et se réorganiser en induisant des changements dans sa structure pour garder essentiellement la même fonction : le maintien de la vie. Cependant, il y a un seuil à cette capacité de résilience de la planète et, actuellement, les activités anthropiques érodent cette disposition à une vitesse importante [4].
On a atteint un stade où les 9 limites planétaires établies par la communauté scientifique sont contrôlées par les activités humaines. Le concept établi ainsi une zone sécuritaire d’opération pour chacune des variables et en fait le portait de leur état actuel (figure 2).
La figure 2 présente l’état actuel des variables limites. La zone verte représente la zone sécuritaire d’opération, la zone jaune est celle de l’incertitude et la zone rouge est celle du dépassement du domaine des limites.
Actuellement, nous avons dépassé 3 limites : la diversité de la biosphère et les cycles biogéochimiques du phosphore et de l’azote. Il faut également surveiller les changements imposés aux fonctions des sols, qui se situe assez haut dans la zone jaune. L’analyse des interactions inter-limites suggère que les changements climatiques et que la diversité de la biosphère sont les noyaux et que les autres variables gravitent autour d’elles en y adaptant leurs rétroactions [3].
Survolons les limites pour mieux les comprendre et adapter nos comportements
Les principaux conducteurs de la dégradation de la diversité de la biosphère sont les demandes en nourriture, en eau et en ressources naturelles. Ces pressions sur les ressources amènent des pertes sévères en biodiversité planétaire et induisent des modifications des services écosystémiques. Cependant, on peut ralentir cette dégradation en protégeant d’avantage les habitats et en augmentant la connectivité entre les écosystèmes par exemple.
Les émissions de substances toxiques possèdent souvent des temps de résidences importants dans l’environnement (polluants organiques, métaux lourds, matériaux radioactifs, etc.). Ils peuvent avoir des effets irréversibles sur les organismes vivants et sur l’environnement physique en affectant les processus atmosphériques et le climat. Également, ce taux de pollution est difficilement quantifiable et les impacts sont observés à long terme. Ainsi, les études ne permettent pas d’établir de seuil pour cette variable, mais la mitigation de leur utilisation est de mise.
La concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère dépasse actuellement les 390 ppm, concentration nettement supérieure à celle établie pour la zone sécuritaire. Ainsi, les impacts des changements climatiques se font déjà observer. Par exemple, la diminution de la glace océanique polaire en été atteint presque l’état irréversible. Les niveaux océaniques sont déjà à la hausse. On ne sait pas pour combien de temps on peut dépasser la limite sans induire des changements irréversibles.
Les eaux de surface des océans sont 30% plus acide qu’à la période préindustrielle. ¼ des émissions de gaz à effet de serre atmosphériques émis par les humains se dessoudent dans les océans. Cette acidité a des impacts négatifs sur la survie et sur le développement de certains organismes (coraux, organismes à coquilles et planton), affectant directement les réserves de poissons.
Le cycle de l’eau douce est intrinsèquement lié aux changements climatiques. Les humains sont maintenant les principaux acteurs déterminants dans la fonction et dans la distribution de l’eau douce, qui se fera plus rare dans les années à venir.
Les terres sont converties à l’usage humain un peu partout sur la planète. Forêts, champs, milieux humides et autres types de biomes terrestres ont été converti en terres agraires. Les impacts de cette variable sur la biodiversité, sur les flux des cours d’eau et sur les cycles biogéochimiques du carbone, de l’azote et du phosphore sont notoires.
Les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore ont été radicalement modifiés par les processus industriels et agraires pratiqués par les humains. En effet, les activités humaines relâchent d’avantage d’azote que tous les processus terrestres combinés. L’azote et le phosphore produits par l’humain s’accumulent dans les cours d’eau ou dans la biosphère terrestre, appauvrissant ces milieux en oxygène et affectant directement la diversité biologique.
Les aérosols ont une incidence directe sur le système climatique en modifiant la quantité de radiations solaires est réfléchie ou absorbée dans l’atmosphère. Interagissant avec les vapeurs d’eau, ils affectent le cycle hydrologique par les mécanismes de formation des nuages et par les tendances de circulation atmosphérique.
Finalement, l’ozone stratosphérique filtre les rayons ultra-violets du Soleil. Si la couche d’ozone s’amincie et vient à se perforer, d’avantage de rayons UV vont atteindre le sol, augmentant les risques de cancer et affectant les écosystèmes terrestres marins biologiques [12].
Une nouvelle plus optimiste est que nous avons déjà réussi à renverser l’état critique de la dégradation de l’ozone stratosphérique. En effet, à la suite de l’apparition du trou dans la couche d’ozone au niveau de l’Antarctique, l’accord international du Protocole de Montréal a été mis sur pied. En éliminant graduellement la production et la consommation de 165 substances appauvrissant la couche d’ozone (SACO) et des hydrofluorocarbures (CFC), l’état de la couche d’ozone a pu être rétablie, plaçant cet accord au podium des accords internationaux [13]. Donc, si on peut arriver à respecter une limite, on peut y arriver pour les 9!
L’ère géologique de l’Holocène supporte la vie humaine, mais les habitudes de consommation et les modèles économiques actuels des sociétés ne sont pas durables pour maintenir l’état d’équilibre du système Terre. Diverses modifications des fondements des sociétés sont actuellement enclenchées par les gouvernements internationaux. L’implantation de politiques de gestion des matières résiduelles [14], d’objectifs de diminution des émissions de gaz à effet de serre et l’introduction des principes de l’économie circulaire (qui sera présenté dans le prochain article) sont des exemples de mesures mises en place pour améliorer le respect des limites de la Terre. Cependant, puisque la consommation responsable n’est pas adoptée en majorité par les citoyens du système Terre, les pressions sont grandissantes sur les variables limites. Diminution de l’achat de matières plastiques à usage unique, éviter la surconsommation, utiliser d’avantage les transports actifs et collectifs sont des gestes du quotidien importants pour diminuer les pressions exercées sur les ressources naturelles planétaires. Respecter les limites de la planète, c’est aussi assurer notre qualité de vie!