Une technique ancienne des peuples de l’Amazonie pour modeler la fertilité des sols est reprise aujourd’hui en jouant un rôle potentiel dans la mitigation des changements climatiques. 

« La plus importante zone vierge au monde; les poumons de la planète; le plus grand bassin de biodiversité; source unique de plantes médicinales et d’antibiotiques brutes : l’Amazonie est intouchée et intouchable. »

Cette définition longuement acceptée de la forêt amazonienne n’est pas incorrecte, mais elle cache l’essence de l’histoire par laquelle se déploie son paysage et son écosystème actuels. Plusieurs études démontrent que les sols de la forêt ont été patiemment travaillés par l’humain pendant de longues années bien avant que les européens atteignent les Amériques [1].

Les sols tropicaux sont habituellement pauvres, lessivés et enclins à la dégradation, donc peu fertiles. Cependant, on a découvert à plusieurs endroits discontinus dans la forêt amazonienne, un sol foncé, fertile et riche en minéraux qu’on nomme Terra Preta. Cette terre noire a été produite par les premiers peuples d’Amazonie il y a au moins 2500 ans. Ils produisaient du charbon (bois brûlé), qu’ils mélangeaient à de la matière organique comme des déchets de table ou des os et à des tessons de poterie qu’ils incorporaient à la terre originale de la forêt. Aujourd’hui, ces sols demeurent riches en carbone organique et en activité microbienne [2] et ils soutiennent des écosystèmes plus divers, complexes et avec une plus grande variété d’arbres fruitiers [3].

Inspiration Terra Preta : biochar ou amendement du sol à futur prometteur

Qu’est-ce que le biochar? 

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, on parle du biochar. Cette matière est le résultat de la biomasse carbonisée dans un environnement limité en oxygène (pyrolyse) qui est composé de 45% à 85% de carbone [4]. On trouve son utilisation surtout en agriculture comme amendement du sol, opération qui consiste à incorporer ce matériel à la terre pour y améliorer les propriétés physiques [5]. Ce biochar est utilisé à la manière de la Terra Preta retrouvée en Amazonie. Véritable retour aux techniques ancestrales, plusieurs organisations scientifiques tentent toujours de démystifier et de comprendre les mécanismes entre le biochar et le sol. 

Les bénéfices climatiques et environnementaux du biochar

L’ajout de carbone stable au sol y améliorerait la rétention d’eau et d’éléments fertilisants nutritifs, comme les composés azotés, grâce à la structure poreuse des molécules de biochar (figure 1a). Puis, dans ces conditions, l’activité microbiologique profiterait d’un environnement propice à son développement. Plusieurs l’utilisent directement pour améliorer la productivité des sols et d’autres l’utilisent pour améliorer la gestion des déchets en les utilisant comme matière première destinée à la production du biochar [6]. Pour le fabriquer, on peut utiliser n’importe quel type de matière organique, il suffit de la faire «cuire» dans un environnement limité en oxygène.

Lorsqu’un feu de camp brûle, il est directement en contact avec l’oxygène sans être limité. Le résultat de ses cendres est pauvre en carbone puisqu’il se combine aux molécules d’oxygène de l’atmosphère (CO2); il reste majoritairement des minéraux dans les cendres [7]. Au contraire, lors de la cuisson dans un four où le contact avec l’oxygène est contrôlé par cet environnement fermé, le taux de matière qui s’échappe est faible. C’est exactement ce mécanisme qu’on obtient lors de la production de biochar : le résultat ressemble plutôt à un «gâteau de carbone» (figure 1b). On peut fabriquer le biochar chez soi à petite échelle, mais il peut être fabriqué dans des usines de production industrielle [8], comme celle de Airex Énergie à Bécancour au Québec [9].

Figure 1 : A) Structure poreuse du biochar vue au microscope [10] B) matière obtenue après la pyrolyse de la matière organique [11].

On a découvert que ce biochar pouvait intervenir dans la lutte aux changements climatiques. La particularité de cette matière se trouve dans son carbone qui ne se décompose qu’après des centaines, voire des milliers d’années à cause de ses structures stables qui le composent [5]. La production de biochar ainsi que son stockage dans le sol induisent des réductions nettes des concentrations en CO2 atmosphérique : le carbone est absorbé lors de la croissance de la biomasse, puis il est stocké dans le matériel produit à la suite de la pyrolyse, à la place d’être retourné dans l’atmosphère [12]. En combinaison avec ses propriétés de rétention d’eau et d’éléments fertilisants, le biochar a tendance à stimuler la croissance des plantes, mécanisme qui accélère également le retrait de CO2 de l’atmosphère et qui augmente les productions agricoles [8]

Le biochar selon le GIEC 

Dans un rapport de 2018, le GIEC souligne la technologie du biochar comme une technique d’élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère qui se veut pertinente à être explorée dans le contexte de cette lutte aux changements climatiques [13] :

«Elle mérite d’être explorée, justement! Cette solution présentée comme telle, sur plusieurs ressources web, semble miraculeuse. On dirait que tout ça est trop beau pour être vrai. À la lumière de mes recherches, je me demandais vraiment pourquoi elle n’était pas d’avantage répandue et utilisée; séquestration de carbone sur des centaines d’années, amélioration de la croissance des plantes et meilleure gestion des déchets. J’étais prête à me faire porte-parole du biochar! Mais j’ai continué à creuser… Je me méfie toujours des réponses à sens unique dans le domaine de l’environnement, et je vous conseille de faire de même.» 

Réserves et critiques sur le biochar comme solution carbone

Dans la littérature scientifique, la valeur du taux potentiel de captation du CO2 atmosphérique par le biochar est très hétérogène. Des études confirment que le biochar pourrait retirer 0,65 gigatonnes de CO2 équivalent par année alors que d’autres en promettent 35. La cause principale de cette polarisation se trouve dans les patrons d’études, mais également dans les propriétés du biochar [14].

En fait, les raisons derrière les variations des propriétés physiques des biochars sont assez nébuleuses. On sait que la température de production exerce une influence sur le produit, mais aucune tendance n’a pu être établie. Par exemple, des biochars produits à partir de la même matière première, mais cuites à des températures divergentes pourraient avoir différentes propriétés de séquestration de carbone et également contenir différents nutriments. La rétention de nutriments dans le sol dépend du potentiel de relâchement du biochar (qui lui dépend de divers facteurs méconnus) et dépend également du potentiel de relâchement du sol en question [15].

Lors de la pyrolyse, selon la méthode utilisée, les gaz qui s’y échappent sont composés de méthane, de monoxyde de carbone et de composés organiques volatiles qui interviennent dans le cycle climatique et dans la problématique des particules en suspension. De plus, le biochar a la propriété d’immobiliser les pesticides dans le sol, ce qui peut réduire leur efficacité. Puisque l’utilisation de biochar pour l’agriculture stimule la croissance des plantes, c’est l’ensemble des plantes qui sont favorisées; celles qui sont indésirables peuvent avoir des impacts sur les cultures, d’autant plus que l’efficacité des herbicides peut être compromise [14].

Le biochar se décompose tout de même graduellement dans le sol, puis, en combinaison avec le labourage de la terre et des activités de transports, il y a le rejet d’une petite quantité de CO2 vers l’atmosphère [8]. Cependant, aucun chiffre n’est disponible sur ces observations. On ne sait donc pas si ces inconvénients sont plus importants que les bénéfices ou vice-versa.

Dans une étude synthèse des connaissances sur le biochar conduit par Nair et al. (2017), [15] on a pu conclure que les études aux champs ne permettent pas la compréhension des mécanismes pour fournir une méthode d’application universel. Les études seraient beaucoup plus concluantes en laboratoire et en serre. Néanmoins, plusieurs bénéfices ont été démontrés dans des sols tropicaux acides et pauvres en nutriments [15]. On peut s’en douter puisqu’on ajoute une matière riche en nutriments dans un sol qui en contient peu, comme les premiers peuples de l’Amazonie qui ont transformés des sols peu productifs en terres noires riches. En considérant les limitations dans la disponibilité de la biomasse et des incertitudes que présentent cette technique, il manque plusieurs essais à grande échelle [13].

Chiffrer le potentiel exact du biochar sur les changements climatiques représente un réel défi à cause de toutes les variables discutées. Cependant, il pourrait y avoir des avantages à long terme de son utilisation et elle pourrait être bénéfique pour améliorer le rendement des cultures dans des communautés tropicales (figure 2). De plus, en détournant les déchets des sites d’enfouissement techniques pour les transformer en biochar, on pourrait diminuer les émissions de méthane issus de cette industrie [12].

Figure 2 : Incorporation de biochar dans des sols tropicaux peu productifs et l’impact sur la croissance des cultures de maïs [16].

Dû à l’ultra-concentration du CO2 dans l’atmosphère, nous devons pouvoir en retirer afin d’atteindre nos objectifs climatiques.

Cependant, le GIEC et d’autres organisations sont limpides sur l’importance de la combinaison des réductions des émissions de GES en premier lieu et de l’utilisation de technologies ensuite. Celle du biochar pourrait être pertinente puisqu’elle ne nécessite aucune nouvelle matière première, elle nécessite peu d’eau [13] et elle est peu coûteuse à produire [14]. Il faut cependant développer des techniques d’implantation sécuritaires, sans quoi le carbone pourrait se retourner contre nous.

Alexie Roy-Lafontaine

Alexie Roy-Lafontaine

Rédactrice scientifique pour le web et les réseaux sociaux

Autrice de l’article